Il n’est pas un aspect de la réalité qui ne soit aujourd’hui hanté par la notion de « crise » : la crise économique entrainerait dans son sillage et indéfiniment une crise sociale, politique, migratoire, écologique, identitaire et même une crise des vocations. Et, en effet, comment trouver sa place dans un monde dont on nous dit sans cesse qu’il serait emporté dans la course folle d’une rupture du sens et de l’ordre établi ? La seule réponse serait-elle la « gestion de crise » dont les adeptes avouent ne rien savoir de la crise, mais seulement en repérer de grandes caractéristiques et leur réitération pour tenter d’en contrer la catastrophe désormais toujours imminente ?
« Il n’y a pas de crise mais essentiellement des devenirs qui opèrent en silence. »
Gilles Deleuze
La philosophie entend les choses autrement. Ou plutôt, elle rappelle le sens premier de la crise qui, en grec, exprime l’acte de séparer, juger, décider. Il y a crise quand l’équilibre se rompt obligeant de manière imminente à prendre une décision qui m’implique.
« En un certain sens, le monde est toujours un désert qui a besoin de ceux qui commencent pour pouvoir à nouveau être recommencé. »
Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?
Affronter la crise ne consiste donc pas à élaborer des stratégies pour éviter le pire, mais à affirmer un choix en propre afin d’infléchir l’ordre des choses et d’en créer un nouveau. En ce sens, la crise n’est pas à gérer mais à exalter. Ou encore : l’homme de la crise est celui qui, fuyant une pensée conservatrice et animé du désir d’initiative, instruit par le passé et agissant pour l’avenir, cherche à ouvrir des brèches dans un monde consensuel.