On pourrait se demander pour quelle raison associer le travail de réflexion philosophique à la production d’images. Particulièrement quand les images ont envahi l’espace visuel à un point tel que leur prolifération provoque à terme un recul de la textualité et de la parole. C’est dans ce constat pourtant que réside la réponse à cette interrogation : c’est précisément parce que les images prolifèrent et qu’elles menacent l’exercice de la raison critique qu’elles doivent faire l’objet d’une reprise par la philosophie.
Si l’image n’est pas une langue, elle n’en est pas moins un langage. Aussi les images ont elles peut-être autant que le texte, sinon davantage, le pouvoir de susciter l’interrogation et par là de devenir l’espace actuel de la maïeutique. Lorsque Rossellini propose d’utiliser la dimension dialectique des images dans la production d’une série documentaire pour la télévision, il a certainement à l’esprit cette capacité d’interpolation du sens dont les images sont immédiatement porteuses. Pour le dire simplement, une image, parce qu’elle est allégorique, interroge plus qu’elle ne véhicule de sens. C’est cette potentialité qu’il s’agit ici d’actualiser et d’utiliser pour appuyer le discours, sinon le compléter.
C’est la raison pour laquelle l’image doit être repensée dans sa forme. Les réseaux sociaux ont imposé ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « la dictature du court » par opposition au développement, de même que la dictature du « clic » force la création « d’images déchets », d’images de consommation courantes, vite absorbées, vite digérées.
A ces injonctions, nous répondons par la production d’images soignées, réfléchies, construites, esthétiques, aptes à lever les certitudes et à mettre la pensée en mouvement.
C’est mus par cette exigence que nous vous proposons d’imaginer avec vous la création de films institutionnels et la conception de rencontres, consultations et ateliers publics.
La langue en crise
La jeunesse populaire est souvent définie par son langage constitué de mots détournés et d’expressions inventées, oscillant toujours entre humour et gravité. Un langage généralement trop vite épinglé comme rustre, vulgaire, abîmant la « langue de Molière ». Comme si ces mots étaient une volonté d’offenser la société et de s’en démarquer, voire de s’en isoler, absolument. Et de fait, une telle perception les assigne à être considérés comme une communauté inabordable : les jeunes de banlieue, définitivement en périphérie de la ville seraient, par leur manière de s’exprimer, en marge de la société et de la langue de tous.
Or, il s’agit de montrer que bien plus qu’un langage constitué pour se singulariser et trouver une autonomie à l’égard de la société, c’est bien la langue de tous qu’ils entendent et parlent comme personne. De ce point de vue, les expressions qu’ils créent, et qui certes les rassemblent, loin toutefois de les exclure, les inclut de plain-pied dans la société en appelant à déchiffrer dans la langue de tous, la langue commune, ce qu’elle recèle de liens avec chacun. Dit autrement, chaque mot ou expression des « jeunes de banlieue », pour qui y prête une oreille attentive et ouverte, découvre une entente aiguë de la langue et sa re-création comme image vivante du monde. Véritable expérience esthétique et politique, la langue réinventée des « jeunes de banlieue » exprime une compréhension intime, générationnelle et sociale de notre époque.
Nous vous présentons quelques instants de ce travail en train de se faire…